Par Michel Fily, le 26 septembre 2018
Ted Nomad est né sur la route. Il a laissé des stigmates anonymes de ville en ville, forgeant son univers, peuplé des portraits de ses rencontres. Il développe depuis les années 2000 la technique du pochoir. Sa peinture est instinctive, jetée, comme une nécessité, une urgence. Il puise son inspiration dans l’être humain, ses émotions, dans ses figures anonymes ou célèbres, ses rencontres. Une inspiration puisée dans l’actualité ou le quotidien de tous.
Urban Street Art Urbain est allé à la rencontre de cet artiste hors-norme, qui présente actuellement à Street Art City un Solo Show intitulé LIFE sonorisé et scénarisé, constitué d’œuvres originales exceptionnelles mises en scène au cœur d’une ambiance bouleversante.
Parle-nous tout d’abord de ta rencontre avec Street Art City…
J’ai connu Street Art City en 2016, c’est-à-dire avant l’ouverture. J’avais été invité à un évènement pendant les championnats du monde de moto à Magny-Court, ou Gilles et Sylvie Iniesta, les propriétaires de Street Art City, étaient aussi invités avec d’autres artistes. Nous nous sommes rencontrés là-bas et nous avons tout de suite tissé des liens intenses. Ils m’ont très rapidement invité à venir à Street Art City, où j’ai tout d’abord peint le grand mur extérieur, quelques mois avant l’ouverture officielle du site. Depuis cette date, je suis revenu ici assez régulièrement. J’ai réalisé ensuite, en 2017, la chambre numéro 24 de l’Hôtel 128. Puis, ils m’ont proposé de prendre la suite de ZESO, qui avait son Solo Show l’an dernier dans la salle d’exposition. J’ai bien évidemment accepté…
Comment as-tu créé cette exposition ?
J’ai beaucoup réfléchi en amont à ce que je voulais raconter dans ce show. C’est la première fois que j’expose dans une expo solo uniquement des anonymes. J’ai toujours mis quelques célébrités ou quelques photos célèbres dans mes expositions, pour répondre à une sorte de complexe artistique, une peur. En mettant un Dali ou en reproduisant une photo célèbre ou même des photos de copains, j’avais l’impression d’y aller moins seul et ça me donnait du courage. J’avais besoin d’une « béquille », si on peut dire… Et pour ce show, j’ai décidé de me passer de cette béquille et de vraiment aller au fond de moi-même. J’ai commencé à faire des croquis préparatifs et tout en réalisant ces croquis j’ai écrit des textes, chose que je fais déjà depuis assez longtemps.
« Je jette de la peinture
sur les murs
ça fait des éclaboussures
je donne toute mon âme
corps à corps
et pour seule arme
mon cœur hardcore »
Comment as-tu intégré tes textes à ce show ?
J’avais l’habitude d’incorporer mes textes visuellement dans mes œuvres, comme dans ma chambre de l’Hôtel 128. Mais je ne voyais pas les choses comme ça pour cette exposition, c’était une évidence. Il fallait que je les introduise différemment. J’avais décidé de les enregistrer sous format audio – sachant que quand j’écris mes textes, la diction et la musique sont déjà présentes à mon esprit – mais l’idée était encore assez floue. Alors je suis allé voir un ami musicien, Josef Bilek, avec qui je travaille sur pas mal de projets. Je savais déjà comment chanter mes textes, je les ai tous enregistrés a capella. Il a composé une bande musicale et ensuite on a retravaillé ensemble les textes avec la musique. On en a fait un spectacle performance, présenté en juin dernier, pendant lequel j’ai peint en même temps que je chantais, et ça a été une expérience incroyable. Le public était en pleurs, les émotions étaient très fortes.
Vas-tu renouveler l’expérience ?
On est en train de réfléchir à d’autres productions de ce spectacle. Mais il faut que ce soit dans de bonnes conditions. C’est-à-dire avec un vrai mur et en extérieur. Ce côté « street » est très important pour moi, parce qu’il colle avec mon passé. Parce que j’ai été dans la rue très jeune… C’est une démarche très intime…
« L’enfance, faite de plaisirs immenses,
de souffrances intenses…
le tout mélangé, mixé, malaxé…
comme un canari dans un mixer
la vie a écorché mon cœur »
Ton Solo Show s’intitule LIFE. Peux-tu expliquer son identité ?
J’ai toujours travaillé autour de l’humain. Donc, forcément, mes œuvres évoquent la vie. Les regards de mes personnages aussi. Et le fait d’avoir écrit des textes en même temps que je dessinais ce que j’allais peindre a imbriqué ces deux démarches et a fait de cette exposition quelque chose de très autobiographique. Ces regards intenses sont devenus moi. C’est moi qui force un peu le regard du spectateur, simplement pour lui montrer que je suis vivant. Ce que j’ai voulu faire aussi, c’est donner du courage aux gens. Et de l’espoir. Parce qu’avec ce que j’ai vécu, ce n’était pas gagné… Je suis tombé vraiment très bas. J’étais dans une souffrance profonde. Et aujourd’hui je suis en train de vivre une renaissance juste incroyable ! J’ai voulu montrer aux gens que c’est possible et qu’il faut juste y croire…
Quelle technique as-tu utilisée ?
J’ai commencé le pochoir au début des années 2000. À la base, pour moi, cette technique n’était pas forcément artistique. Je dessinais, mais je n’avais pas l’ambition de devenir artiste. Ce que je faisais avec les pochoirs était plus de l’ordre de la révolte : avec un dessin assez simple, je taguais des messages, des slogans. J’utilisais à l’époque des pochoirs beaucoup plus solides que ceux que j’utilise aujourd’hui. Je les fabriquais avec du carton ou du plastique. Dès que j’arrivais quelque part je passais toute la nuit à taguer le même motif absolument partout. Sans signer. Ce n’était pas du tout mon propos de me faire connaitre. Je n’imaginais même pas que ce soit possible. Ma démarche était simplement viscérale. Et je n’avais aucune référence, parce qu’étant dans la rue depuis un très jeune âge, je n’avais pas accès aux médias. Bien sûr, je voyais des graffitis dans les rues, mais je ne suis pas sûr que ça me parlait réellement à l’époque… Ce que je voulais, c’était juste faire passer un message aux gens.
« J’ai connu la rue trop tôt,
j’ai vécu le règne de la galère gros,
j’ai traîné, erré, dépouillé,
wesh je sais ce que c’est.
C’est la tête sous l’eau
à téter le goulot,
constamment chercher,
c’est pas se laver, s’oublier, puer,
c’est déranger les braves gens pressés »
Je n’ai pris un vrai virage artistique qu’en 2013, après que je me sois enfin installé dans une maison, après toutes mes années de galères… L’année précédente, c’est-à-dire la dernière année durant laquelle j’ai vécu dans un camion, j’étais sur un terrain privé où il y avait des caravanes et des camping-cars. Et avant de partir, j’ai voulu peindre les portraits de toutes les personnes qui étaient là-bas et les leur offrir. C’était la première fois que je mixais réellement ma technique de dessin avec la technique du pochoir. Il y a eu une telle magie quand j’ai donné ces tableaux, ce que j’ai vu dans les yeux de ces personnes m’a tellement plu, que je me suis dit : « Il y a peut-être quelque chose à faire avec cette technique-là ». Et trois mois après m’être installé dans ma première maison, j’avais peint quarante toiles… J’ai fait une première petite expo dans un bar, à Mâcon, qui est ma ville d’origine. Là aussi, il y a eu un engouement incroyable de la part du public. J’ai vendu dès le premier jour. À la fin de cette exposition, j’en avais trois autres de prévues. Pour moi, la chance s’est présentée à ce moment-là…
« Je crois qu’une seule vie ne suffira pas à me faire taire.
Moi, ma grande gueule,
mes tripes et ma fierté.
On est seul
mais solide comme une armée.
On est là, on est vivant
bien obligé de rester debout »
Ce sont ces gens qui m’ont dit que j’étais un artiste. Je n’avais pas du tout ambitionné ça, alors je me suis dit : « Ok, il faut que je légitime cette chose qu’ils voient en moi ». J’ai complètement revu ma technique de pochoirs et je suis passé au papier. Je récupérais des grandes affiches dans des salles de concert pour fabriquer ces pochoirs. Je suis tombé complètement amoureux de cette technique, du fait que ça bouge, que ça se soulève un peu, que la peinture passe en dessous, que ça « provoque l’erreur »… Les taches de couleurs sont, elles aussi, apparues assez rapidement après mon installation. J’allais présenter ma première exposition solo dans une galerie et je voulais faire un travail sur la synesthésie, c’est-à-dire la faculté que certaines personnes ont de voir certaines choses en couleurs. J’étais passionné par ce phénomène neurologie que je trouve incroyablement poétique. Et donc, après avoir peint mes portraits en noir et blanc, je les ai regardés chacun leur tour en me demandant : « De quelle couleur est-il, pour toi ? » C’est comme cela que les taches de couleur sont apparues. Et je me suis rendu compte qu’elles donnent de la vie à mes portraits, qui sont assez statiques à la base, un peu comme des photos d’identité. Les taches y ajoutent des émotions que je n’avais pas forcément voulu y mettre et qui, parfois, me surprennent moi-même…
Tu as utilisé des supports particuliers ?
Oui. Comme je l’ai expliqué, je viens de la rue. J’ai vécu, durant plusieurs années, uniquement avec de la « récup ». Dans cette exposition, j’ai peint sur du bois, sur du carton, sur des caisses de vins, sur mes propres bombes… Il y a un aspect presque jouissif, de mon point de vue, dans le fait de prendre un matériau qui n’a aucune valeur et le remettre sur le marché de l’art. Et il y a du sens, parce que c’est un matériau qui a eu une utilité, qui a servi, qui raconte lui aussi une histoire. Je trouve ça vraiment important. J’essaie d’explorer tous les supports…
Comment as-tu organisé l’espace de ce show ?
Dès le départ j’ai su que j’allais repeindre tout l’espace en noir. Les fonds noirs correspondent à mon identité visuelle, ils créent une intensité qui correspond à ce que je veux transmettre. Ensuite, après avoir commencé à installer les toiles et à diffuser les textes et les musiques, j’ai voulu que les gens puissent se poser et j’ai fabriqué un banc. Enfin, je me suis souvenu que des gens m’avaient dit, lors d’expositions précédentes, qu’elles trouvaient mon travail « trop dur ». Certaines personnes ont tendance à confondre, dans leurs ressentis personnels, « intensité » avec « tristesse ». J’ai mal vécu ces réactions et ne voulais pas qu’elles se reproduisent dans cette exposition. Mes œuvres parlent d’amour. La tristesse n’est vraiment pas du tout ce que je veux raconter. C’est comme cela que j’ai eu la vision de la scène centrale de l’exposition, avec les trois personnages assis en tailleur autour du cœur… Pour les fabriquer, j’ai utilisé le corps de ma compagne que j’ai entouré de cellophane, puis de scotch. Puis j’ai découpé sur les côtés pour démouler, rembourré celles-ci de journal et rescotché les formes. C’est ce qui les rend si vivantes. J’ai utilisé des masques pour rappeler les sujets anonymes des portraits et parce qu’un contraste se crée entre ces personnages centraux sans visages et les visages autour qui les regardent. J’ai intitulé cette installation « Radeau de Fortune ». Elle représente à mes yeux un instant de grâce, dans un monde chaotique, avec cette fleur en forme de cœur qui a poussé et que les trois personnages se sont arrêtés pour observer…
LIFE, par Ted Nomad
À vivre sans modération d’émotion
Tous les jours sans interruption de 11h à 19h
Street Art City
03320 Lurcy-Levis
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