« Être honnête avec soi-même pour pouvoir avancer » : les contre-utopies futuristes de Loodz

Par Michel Fily, 14 juin 2019

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Loodz est né en 1978 en Haute-Savoie, mais c’est de l’autre côté du Léman qu’il a grandi, à la frontière de la Suisse, en France. Son art mural et ses toiles rappellent les dessins du Maitre Philippe Druillet et les toiles du grand Vassily Kandinsky. Depuis septembre 2017, Loodz est représenté par Superposition à Lyon. L’artiste a participé à la 5ème édition de l’Urban Art Jungle, à la friche l’Autre Soie, à Villeurbanne en juin 2019. Urban Street Art Urbain l’a rencontré à cette occasion.

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Bonjour Loodz, peux-tu te présenter aux lecteurs ?

Je m’appelle Loodz, j’ai 40 ans, je fais du graffiti depuis une vingtaine d’années. Je suis originaire du pays de Gex, près de Genève, où il y a une scène de dingue et où le style et la qualité sont beaucoup mis en avant. C’est une autre mentalité qu’en France, plus proche de la mentalité allemande… Je n’ai jamais fait d’études d’art, je suis complètement autodidacte. Je n’étais pas du tout fait pour l’école. J’ai appris seul à utiliser les différentes techniques et logiciels comme Photoshop et certains collègues qui ont étudié s’étonnent de ma maitrise et des « process » que j’utilise. Le graffiti pour moi fut d’abord (naïvement) une contestation, avant de le percevoir comme un moyen d’expression et d’épanouissement à part entière. J’ai commencé par le tag. Au début, on faisait ça dans les garages, on se cachait des aînés, parce qu’on avait honte de ne pas être assez bons, puis petit à petit on a commencé à maitriser les bombes et nos styles, on a pris de l’assurance et on a commencé à sortir. On graffait sur autoroutes ville, alentours… Ensuite, j’ai eu envie d’aller plus loin. Faire de la rue, c’est bien, mais tu es limité en termes de temps et tu ne peux pas faire d’énormes murs, ce que j’ai commencé à faire relativement tardivement, dans des friches et des usines désaffectées. J’ai entamé une démarche d’atelier en 2006, à Villeurbanne. J’ai commencé par y peindre surtout des portraits, parce que je voulais explorer cette technique. Ensuite j’ai progressivement pu synthétiser mes influences. J’ai exposé à Lyon, à Genève, à Hambourg, à Dubaï, et je vais bientôt exposer à Paris.

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Quels sont tes techniques et supports ?

Je peins sur murs à la bombe et sur toiles à l’acrylique. J’ai peint quelques modules en bois. Je vis de ma peinture aujourd’hui, mais je ne gagne pas énormément d’argent, alors le graffiti est devenu plus rare. J’essaie d’en faire autant que possible, mais mon travail à l’atelier me coûte beaucoup d’argent… Et puis, Lyon est une ville où le Street Art est peu pérenne. La plupart des murs sont en rotations constantes et les œuvres n’y restent que quelques mois, alors qu’en Espagne, en Suisse, j’ai des murs qui ont 5 ans. J’aime la toile pour son aspect qualitatif et l’acrylique pour la même raison. Le spray a ses limites. Ce que je fais sur mur ne sera jamais aussi propre que ce que je peins à l’atelier. Mais globalement, je n’ai pas d’apriori sur les supports. Mon style est un peu différent en studio, comparé à mon travail mural. A la base il y a toujours du lettrage. Moi, je fais des vaisseaux en lettrage. Mon univers est très inspiré de la BD et de la science-fiction. Le thème général tourne autour de « l’esprit » d’une quête. Et les vaisseaux sont un bon moyen d’avancer… C’est un univers assez manichéiste, « les méchants contre les gentils », c’est ma façon de simplifier la réalité, une sorte de contre-utopie futuriste où on serait déjà passé par le chaos. Sur toile, j’essaie d’avoir un discours plus abstrait, plus spirituel, inspiré par mes lectures et mes réflexions. L’école de graffiti à laquelle j’appartiens est une discipline qui exige beaucoup de temps, de travail et d’énergie. Elle t’enjoint à chercher des choses en toi que tu ne trouves pas tout de suite, mais que tu dois construire avec le temps. Pour moi, la toile correspond à cet aboutissement. Lorsque j’ai commencé à exposer en 2006, j’avais pris la décision de faire des portraits, pour acquérir la technique. Les gens ont tout de suite aimé et j’ai donc tout de suite vendu. Mais cela a été la source d’une grosse remise en question pour moi. Je connaissais des artistes de grand talent, qui avaient une pure démarche, et qui ne vendaient pas. Ça m’a donné l’impression d’être « fake ». Mon travail aujourd’hui reste très technique, mais il correspond à ma recherche personnelle et me satisfait beaucoup plus, même si je vends moins. Malheureusement, trop souvent quand je fais un mur, les gens disent « Ah il est cool, le perso », mais ne regardent pas le reste. Il y a encore du travail d’éducation à faire… Sur tous supports, j’aime la couleur et les contrastes, parce qu’ils représentent la vie. J’utilise en moyenne une trentaine de couleurs différentes, sur toiles comme sur murs. Il peut m’arriver d’utiliser des teintes primaires, mais en général je fais moi-même mes mélanges.

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Quelles sont tes inspirations ?

Celui qui m’a appris toutes les techniques de l’acrylique et dont je dirais qu’il m’a vraiment appris à peindre, c’est Pro176, un ancien graffeur français, l’un de ceux qui ont fait monter le niveau du Street Art très haut. J’ai eu la chance de le rencontrer et d’être invité dans son atelier. Il m’a formé, m’a transmis tous les « tricks » pour que je développe mon travail à l’acrylique. Ça a été une opportunité extraordinaire.Ensuite, j’ai développé mes propres techniques. Aujourd’hui, parmi mes nouvelles influences, après que le graffiti et la BD ont été synthétisés, il y a la littérature. En ce moment, je lis René Guénon, Victor Hugo, des classiques de la littérature française. J’ai commencé à lire ces livres seulement après avoir quitté l’école ! Aujourd’hui, j’aimerais synthétiser toutes mes lectures dans mon art. Une autre de mes influences importantes est la musique. Des groupes de Rap, comme Assassin, ont été super formateurs. C’est eux qui ont fait office d’école pour moi, qui m’ont poussé à lire et à comprendre qui étaient les Black-Panthers, comment certains pouvoirs manipulent les masses, qu’est-ce que l’exploitation de l’Afrique par l’Occident… C’est eux qui m’ont donné envie de comprendre le monde dans lequel je vis. Enfin, pour mes inspirations graffiti, je citerais les trois Crews dont je fais partie : ID (dont sont membres Somey en Belgique et Pro176 à Madrid), PB et enfin Z Elements, un petit groupe d’amis avec qui j’ai débuté le graff.

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Parle-nous de ta rencontre avec Superposition ?

Un ami avait montré mon travail à Orbiane Wolff, co-fondatrice de Superposition, et je suis allé la rencontrer. A cette époque, j’étais très investi dans ma démarche d’atelier, je n’en sortais pas beaucoup et n’allais pas à la rencontre des galeries. Je me disais : « Un jour, ce que tu fais sera assez bien et quelqu’un te contactera ». J’ai vite compris que je pourrais attendre indéfiniment (rires). Alors, je me suis décidé à les rencontrer et le courant est très vite passé. J’ai participé à un premier Urban Art Jungle, il y a deux ans, j’ai ensuite fait mon expo solo « Kairos », à SITIO, en 2018, et je continue à travailler avec eux aujourd’hui. J’ai participé à Collisions Urbaines en mai dernier et je participe à l’Urban Art Jungle #5. Superposition est une jeune association dont j’admire le dynamisme. A leurs âges, j’étais beaucoup plus passif, je trouve leur travail admirable et je suis très heureux de collaborer avec eux.

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Que penses-tu de l’évolution du Street Art aujourd’hui ?

Je ne me considère pas comme un artiste urbain pour la simple et bonne raison que je n’ai pas grandi dans un milieu urbain. Je viens du pied de la montagne, ce n’est même pas la campagne, c’est une zone-dortoir, sans activité culturelle. Tout se passe en Suisse et comme le coût de la vie est énorme, tu es obligé de fuir pour pouvoir te loger… Donc, j’aime peindre dans des endroits où je me sens bien et pour cela j’ai besoin d’un peu de nature. C’est la raison pour laquelle j’ai un peu de mal à m’habituer au caractère très urbain de Lyon. Mais en même temps, c’est génial, parce qu’il y a une grande convergence d’énergies dans cette ville. En ce qui concerne mon appréciation de l’évolution de l’art urbain, j’ai un peu le sentiment que l’étiquette Street Art dissimule le graff. C’est peut-être un passage obligé, une nécessité. Mais elle a engendré une forme de consensualité que je trouve nauséabonde. Le graffiti a par essence un caractère sauvage, en lien avec l’outil et les lieux où l’on graffe. Avant, on se cachait, on ne disait jamais son blaze. Aujourd’hui, tu fais un « chrome », tu te prends en photo devant et tu l’envoies sur Instagram… C’est surement une bonne chose que ce soit comme ça, que ce soit devenu « gentil ». Et quand je vois des gamins qui maitrisent tout de suite la technique, parce que les outils sont au point aujourd’hui, je trouve ça cool. J’ai juste encore un peu de mal à m’y faire. Il y a des artistes qui viennent du graffiti et qui méritent leur place. Il y en a d’autres qui ne font que du pochoir depuis des années et c’est autre chose pour moi. Le Street Art, c’est quoi, en fin de compte ? Une étiquette compliquée. Moi, j’ai l’impression d’être un graffeur qui fait des toiles, de temps en temps. Ou peut-être plutôt l’inverse (rires)…

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Où en es-tu de ton art et quels sont tes projets à venir ?

Je suis heureux parce que je progresse, mais j’ai dû faire le choix de me concentrer sur mon travail à l’acrylique sur toiles, qui me revient très cher. C’est plus rare aujourd’hui, pour moi, de faire des murs, parce que je ne peux pas financer entièrement les deux démarches. Mais mon style et mon discours artistiques évoluent et c’est une bonne chose. Les propositions et les opportunités augmentent aussi et c’est très positif. Pour ce qui concerne les projets, je prépare une exposition avec la galerie Guy Pensa, près du Luxembourg. Je travaille aussi avec la plateforme We Need Art. Et je vais participer à la prochaine « From Gotham »

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Si j’étais le génie de la lampe d’Aladin et que tu pouvais exhausser un vœu, lequel serait-il ?

Ce serait de pouvoir faire une peinture avec tous mes potes et membres de mon Crew. Un grand mur de plusieurs jours, en Combo, tous ensembles…

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Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu aimerais répondre ?

Je voudrais dire que c’est un travail de longue haleine. Et que chacun a son propre chemin. Il n’y a qu’avec le travail qu’on peut progresser sur la bonne voie. Mais il faut être honnête avec soi-même et avec sa démarche pour pouvoir avancer.

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