« Je voudrais peindre sur le vent » : les hommes-oiseaux de Parvati

Par Michel Fily, 20 mai 2019

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Artiste franco-indienne née en Amazonie, Parvati évoque à travers ses personnages à têtes d’oiseau un parallèle entre oiseaux migrateurs et migrants. Les végétaux qui les entourent sont un écho à la forêt qui l’a vue naître. L’onirisme, caractéristique essentielle de son travail, se retrouve tant sur ses peintures que sur ses murs. Urban Street Art Urbain l’a rencontrée lors de Collisions urbaines, le warm up de l’Urban Art Jungle Festival #6 de Superposition.

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Bonjour Parvati, peux-tu te présenter aux lecteurs ?

Je m’appelle Parvati, je suis Street Artiste, je suis à moitié indienne et à moitié française, même si ça ne se voit pas du tout. Je ressemble beaucoup à mon papa, mais j’ai la couleur de peau de ma maman qui est française. Mon nom d’artiste est, en fait, mon deuxième prénom. C’est un prénom indien très courant et c’est aussi le nom d’une déesse. Parvati, c’est le principe sacré féminin. Je suis née en Guyane française, dans une communauté hippie, dans la forêt au cœur de l’Amazonie. Je travaille dans la rue depuis quatre ans. J’ai commencé à exposer à la même période. Mais je dessine depuis que je suis toute petite. Je n’ai pas fait d’études d’art, j’ai étudié le management de projet dans le développement durable, un sujet auquel je reste attachée. Dès l’adolescence, j’ai pris des cours de dessins académiques auprès d’un très bon professeur qui m’a prodigué des bases solides techniquement et artistiquement. J’habite aujourd’hui à Chalon-sur-Saône, je viens régulièrement à Lyon, notamment pour mes collaborations avec Superposition, pour rencontrer des amis artistes et pour coller dans la rue.

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Qu’est-ce qui a déclenché ta carrière ?

Je n’ai pas commencé dans la rue. Après avoir terminé mes études, je ne trouvais pas de travail et des amis m’ont proposé d’exposer sur un petit festival. La plupart d’entre eux ne savaient même pas que je dessinais avant cela et moi-même je n’y croyais pas particulièrement. J’ai été extrêmement surprise lorsqu’on m’a annoncé que j’avais vendu tous mes dessins. C’était en 2012. Cette première exposition m’a décidé à faire imprimer un premier book de mes travaux. L’un des imprimeurs a aimé mon travail et m’a dit que la municipalité de Chalon proposait des bourses de lancement. J’ai candidaté et obtenu une bourse, ce qui m’a permis de financer un matériel de base, puis, grâce à plusieurs partenariats successifs j’ai exposé à la médiathèque et dans différentes structures de la ville. Ces premières expositions et le dossier de candidature que j’avais du préparer m’ont permis d’entamer une réelle réflexion artistique et d’aller plus avant que mon simple désir de peindre, de penser à ce que je voulais dire à travers mes dessins et au « pourquoi » de mon art.

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Comment ta technique a-t-elle évolué ?

Au vernissage de la troisième exposition de cette série, un couple de Street Artistes, Chim et Za, m’a proposé de rejoindre leur collectif, l’atelier Larue, me permettant de faire le lien entre mes expositions et mon travail dans l’espace public. Avec eux, j’ai fait mes premiers collages sur murs extérieurs et collaboré à plusieurs expositions et évènements. Ensuite, j’ai commencé à faire des choses seule, des fresques murales, en m’initiant aux techniques de la bombe et du pinceau, qui reste aujourd’hui mon outil principal de création. Le collectif Larue a cessé ses activités il y a un an. A présent, je travaille essentiellement seule, par collages dans la rue et à la peinture pour les « live painting » et les commandes de fresques. Je suis assez lente dans mon travail. Le collage présente l’avantage de me permettre de bien prendre le temps de peindre mes motifs en atelier. Mais parfois je mixe les deux techniques. Le personnage sur collage et le décor peint directement sur mur.

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Collabores-tu avec des artistes aujourd’hui ?

J’ai beaucoup collaboré – un peu moins maintenant parce qu’elle est moins présente – avec Za qui avait monté l’atelier Larue. Je travaille depuis un an avec Autruchet, qui est graphiste. Il intègre des décors en digital painting autour de mes personnages. Je suis aussi en lien avec le Street Artiste Mani, que je connaissais déjà, mais que j’ai retrouvé par le biais de Superposition. Nous sommes devenus amis, nous échangeons beaucoup sur nos pratiques, nous nous conseillons l’un l’autre et nous avons des idées de projets en commun. A l’époque où nous nous sommes rencontrés, nous étions à peu près au même stade de notre parcours artistique, en pleine expérimentation de la rue, et nous nous posions les mêmes questions, autant techniques que philosophiques, et je crois que nous avons trouvé un vrai binôme l’un dans l’autre. Nous partons fin mai tous les deux prochainement en résidence à Can Allà et ce sera notre première véritable collaboration artistique. C’est un lieu hybride à Barcelone qui nous a proposé de venir participer à un projet de Street Art sur tout un quartier et d’exposer parallèlement dans leur salle d’exposition.

7.jpgQuels sont tes techniques et supports ?

Je travaille essentiellement au collage, sur du papier kraft, en peignant à l’encre de chine pour les corps qui sont en noir et blanc. Je dessine des personnages à têtes d’oiseaux, à échelle humaine. Auparavant, je peignais ces têtes, qui sont colorées, avec de la peinture acrylique, mais j’ai décidé récemment d’arrêter, parce que ce n’était pas du tout en accord avec mes convictions écologistes. Aujourd’hui, j’utilise de la peinture fabriquée à base de caséine, une technique ancienne qui a été abandonnée avec l’arrivée du pétrole et des produits chimiques. De plus, je colle avec de la colle de farine que je fabrique moi-même. Cela me permet d’avoir une démarche peu destructive d’un point de vue environnemental. J’ai le projet de fabriquer mes propres peintures à l’avenir. Aujourd’hui je travaille avec des primaires et je maitrise moi-même mes mélanges. Les pochoirs que j’utilise pour faire mes fonds et mes motifs sur murs sont inspirés de l’artisanat traditionnel du sud de l’Inde et des motifs sur les saris des femmes. Je récupère ces modèles de motifs, je les redessine puis les découpe pour fabriquer mes pochoirs. Pour les supports je travaille essentiellement sur papier, sur murs et sur toiles.

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Quelles sont tes influences et tes inspirations ?

Mes influences ne viennent pas nécessairement des arts plastiques, mais j’ai eu une énorme révélation lorsque j’ai découvert, adolescente, le travail d’Ernest Pignon Ernest, l’un des premiers Street Artistes à avoir travaillé la pierre noire et le fusain sur papier, avec des silhouettes à échelle humaine. Je me sens héritière de ce grand artiste. Parmi les artistes plus jeunes, Levalet a lui aussi beaucoup influencé mon travail. Et j’aime beaucoup les œuvres d’Eric Lacan (Monsieur Qui). Je tire aussi mon inspiration de mes lectures, des ouvrages de science-fiction et d’Heroic Fantasy. Lorsque j’étais enfant, ma mère me lisait beaucoup de contes traditionnels du monde entier. Mon univers est très onirique et mes tout premiers projets artistiques étaient vraiment orientés autour du rêve et de comment l’inconscient pouvait être une source d’inspiration. J’ai expérimenté la peinture sous hypnose et je reproduisais en dessin certain de mes rêves. Je le fais toujours aujourd’hui. Mon premier personnage à tête d’oiseau est un souvenir de rêve.

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Pourquoi as-tu décidé de faire des oiseaux le sujet central de ton travail ?

Je suis née en Amazonie, entourée de plantes, d’animaux sauvages et d’oiseaux, et ma relation avec la nature est très forte depuis toujours. Les végétaux qui entourent mes personnages sont une réminiscence de cette nature qui a bercé mon enfance. Les têtes d’oiseaux viennent répondre à mon bouleversement face au problème des migrants. À cause de mon histoire familiale géographiquement étendue, je me suis très vite identifiée à ces personnes que l’on refuse d’accueillir. Je milite aujourd’hui au sein de plusieurs associations pour défendre leur cause. Et dans mon art j’ai souhaité établir un parallèle entre les migrants et les oiseaux migrateurs. Je n’avais pas envie d’aborder la migration humaine sous un aspect triste ou moralisateur, nous vivons dans une société déjà bien assez anxiogène. J’ai voulu plutôt imaginer une utopie où ils pourraient être parfaitement intégrés dans nos sociétés et où ils pourraient être passants parmi les passants. C’est cette idée que j’essaie de reproduire en les dessinant à échelle humaine en train de marcher dans les rues avant de les coller sur les murs. Et lorsqu’on les photographie dans la rue, on a vraiment l’impression qu’ils font partie de la foule des passants.

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Quelles émotions, quelles réflexions cherches-tu à transmettre au public qui regarde tes oeuvres?

Une ouverture au rêve, clairement. Une porte ouverte. Le rêve est, pour moi, un espace de tous les possibles, sans limites, et en ouvrant le regard des gens sur cet espace, je tente de les faire sortir de leur quotidien, de leurs soucis. Mes hommes oiseaux ne convoquent pas le public, ils arrivent par hasard et provoquent la surprise. Il y a des gens qu’ils indiffèrent et d’autres qu’ils émeuvent. Et ceux-là sont toujours transportés vers leur imaginaire, vers leurs propres univers oniriques… Le premier personnage à tête d’oiseau que j’avais collé à Lyon portait une petite mallette à la main. J’étais revenue le lendemain pour le photographier et un père de famille s’est arrêté devant avec ses deux enfants. Le petit garçon a interpelé son père et lui a dit : « Regarde papa ! Monsieur moineau part au boulot ! ». J’ai trouvé fantastique d’observer comment il s’était fabriqué une histoire à partir de mon collage. Il arrive régulièrement que des inconnus réparent mes collages, après que le vent et la pluie les aient détériorés. L’un d’entre eux est collé sous un lierre et il y a quelqu’un qui s’occupe de le tailler autour pour ne pas qu’il recouvre mon dessin. J’aime ces interactions qui me prouvent que le public s’approprie réellement mes œuvres.

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Peux-tu évoquer ta rencontre avec Superposition ?

J’ai rencontré l’équipe de Superposition en 2017, après un appel à artiste lancé sur les réseaux sociaux pour la seconde édition de l’Urban Art Jungle. J’avais répondu à l’appel et ils m’ont sélectionné. Ça a été un coup de cœur immédiat et réciproque. Je n’ai pas encore fait d’exposition solo à SITIO, mais j’ai participé à « One Shot », « Mutations Urbaines », « Urban Pop Up » et « Métamorphe », en plus de « Collisions urbaines ». Et je vais particviper au prochain Urban Art Jungle, en juin 2019.

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Te considères-tu comme une artiste urbaine ?

Je trouve que ce mot veut tout dire et ne veut rien dire. J’ai grandi dans la nature et je n’ai aucune culture Street ni Hip Hop, malgré mon grand respect pour ce mouvement. Mon amour de la rue vient d’ailleurs et ça ne pose aucun problème. Le milieu du Street Art est hyper libre et ouvert. Je ne sais pas si je me considère comme une artiste urbaine, je sais que je suis une artiste. Et il m’arrive de coller hors de la ville, dans des petits coins de campagne… Je ne fais pas de différence entre les Street Artistes et les peintres et, du fait que je travaille au pinceau, avec des techniques de peinture je me sens autant peintre que Street Artiste. Même si mon support préféré reste clairement le mur.

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Que penses-tu de l’évolution du Street Art ?

Je trouve ce mouvement formidable, parce qu’il n’a pas de grandiloquence. Et pourtant il est devenu un mouvement artistique à part entière et de grande importance aujourd’hui. Il a permis à de nombreuses femmes de créer. Au-delà du support commun qui est le mur, le Street Art a ouvert la possibilité de s’exprimer à plein d’esthétiques différentes, avec plein de messages différents. C’est un espace de liberté incroyable. On est loin des galeries d’art contemporain hyperconceptuel avec une nécessite de discours artistiques complexes et construits. Je ne rejette pas cette réflexion, mais le plus important est, pour moi, l’œuvre et ce que l’on voit. Rien ne me rend plus triste que quelqu’un qui dit : «  Je ne peux pas dire si j’aime ou je n’aime pas, parce que je n’y connais rien ». Si une œuvre touche les gens, je veux qu’ils puissent le dire. A mes yeux, il n’y a aucun besoin d’avoir fait une école d’art ou une faculté d’histoire de l’art pour s’exprimer sur le sujet. Avec le Street Art, on est revenu à une relation directe, à une relation au beau qui s’était perdue avec Duchamp et l’art contemporain. C’était hypernécessaire à ce moment-là de l’histoire de l’art. Avec l’avènement su Street Art, une page se tourne et c’était nécessaire.

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Où en es-tu de ton art et de tes projets ?

J’expose en ce moment au Lavomatik à Paris, jusqu’au 25 mai.  L’inauguration à eu lieu en même temps que « Métamorphes » à Lyon. J’ai également fait une fresque sur le mur du Lavomatik. En juin, je participerais à un projet qui s’appelle « Boards to be solidaire » pour le secours populaire. Je participe aussi au projet « Venus », qui lutte en faveur de la prévention du dépistage du cancer du sein. Mes projets suivants auront lieu en milieu rural, deux festivals dans des tout petits villages, en Saône-et-Loire et dans le Berry, qui m’ont demandé de venir participer et je suis ravie de le faire.

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Que penses-tu de ton succès et où en es-tu de tes rêves ?

Où en suis-je de mes rêves ? Je dirais « en plein dedans » ! De manière générale, j’ai toujours essayé de faire en sorte que ma vie corresponde à ce que je rêvais d’être quand j’étais petite. Quand je me pose des questions sur la vie, je me pose toujours cette question-là – « Est-ce que ta vie ressemble à tes rêves d’enfant ? » – et je fais toujours en sorte d’y répondre par la positive. En ce qui concerne le succès, je dirais que c’est quelque chose de relatif. Je suis ravie si ce que je fais touche des gens, je suis ravie de pouvoir vivre de ce que je crée. Le succès je m’en fous un peu…

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Si j’étais le génie de la lampe d’Aladin et que tu pouvais exhausser trois vœux, lesquels seraient-ils ?

J’en ai mille (rires)… Mais si je devais en choisir un, ce serait de pouvoir dessiner sur les nuages. Ce serait trop beau. Peindre sur du vent…

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