Par Michel Fily, 13 mai 2019
Dessinatrice de formation, artiste plasticienne, éditrice, Street Artiste, Méthyl’Mnê explore les champs de résonances et de transmission entre plusieurs disciplines artistiques, entre différentes cultures et mythologies, entre les matières et entre les êtres. Cette créatrice atypique, représentée par la galerie Pandorart, compile depuis le début de son parcours une mémoire croisée iconographique et spirituelle. Rencontre avec une artiste voyageuse, à la rencontre des tribus de l’Homme…
Bonjour Méthyl’Mnê, peux-tu te présenter aux lecteurs ?
Je m’appelle Adeline, j’ai 33 ans, je suis artiste au sens large du terme, issue de l’illustration, aujourd’hui muraliste qui copine avec le spectacle vivant. Je dessine depuis l’enfance et de façon professionnelle depuis plus de dix ans. J’ai commencé mon apprentissage à l’âge de douze ans chez une artiste peintre, Jocelyne Montagnon, dans son atelier. Ce premier apprentissage en dehors du cadre scolaire à sauvé mon adolescence et j’ai su dès l’age de quinze ans que je ferais de l’art mon métier. Le grand frère d’une amie étudiait à l’école Émile Cohl de Lyon, une école spécialisée dans l’illustration et le dessin animé. J’ai choisi d’y faire mes études et y ai reçu une formation assez académique. J’ai terminé mes études en 2010 et je me suis tout de suite lancée dans la création indépendante. Un peu avant la fin de mes études, j’avais déjà commencé à travailler avec la cité de la création en tant que muraliste, avec laquelle j’ai collaboré dès le début sur plusieurs projets. Puis, j’ai fait pas mal d’illustration et de graphisme, de l’affiche, du dessin presse, du décor… Tout en continuant de faire des fresques murales.
Que veut dire Méthyl’Mnê ?
Mon nom d’artiste est plus une signature qu’un blaze. Et c’est une signature qui a évolué avec le temps. Méthylaine, son point de départ, vient du bleu de méthylène qui est pour moi la couleur du féminin et de la recherche, artistique et spirituelle. Ce bleu est fréquemment utilisé comme marqueur, pour tester la perméabilité d’une structure. Cet usage me renvoyait à mon rapport aux cadres et à mon besoin d’indépendance. Ainsi, ma première signature a été « Méthylaine illustration urbaine ». Elle a évolué pour devenir l’actuelle Méthyl’Mnê. Ce nouveau suffixe fait référence à Mnémosyne, la mère des muses gardiennes des arts, dans la mythologie grecque. Les arts sont eux-mêmes gardiens de la mémoire à mes yeux et la mémoire est un sujet central, tant dans mes recherches personnelles que dans la majeure partie de mon activité actuelle, qui est un travail de passation.
Quels sont tes techniques et tes supports ?
À l’origine, je viens de l’édition et donc du papier, mais ce support est devenu très rapidement trop petit pour moi et les murs se sont imposés. Des murs plutôt extérieurs, parce que leurs « vécus », leurs patines, m’intéressent beaucoup. J’ai aussi expérimenté, entre le papier et les murs, d’autres supports présentant les attraits de l’un et des autres, c’est-à-dire celui d’objets avec une matière, mais aussi une histoire… J’utilise, bien sûr, le support neuf de la toile, avec lequel j’essaie toutefois de garder un rapport particulier : j’enduis mes toiles moi-même, je fabrique mes propres châssis sur lesquels je tends les toiles moi-même et j’utilise un Gesso transparent, pour garder la matière de la toile brute visible. J’utilise aussi du Forex de récupération, un choix spécifique pour les œuvres en extérieur essayer de leur donner une pérennité relative. J’utilise enfin du fil, des tissus, des objets de récupération en métal comme des pignons de vélos, des grilles de ventilateurs, des rouages, des lumières… Plutôt qu’une œuvre posée sur un mur blanc, je veux que les gens pénètrent dans un univers dynamique lorsqu’ils rencontrent mon travail. J’emprunte cela au spectacle vivant, avec lequel j’ai beaucoup collaboré. Le choix des objets mécaniques que je recycle vient de l’univers « steampunk » qui m’a aussi beaucoup influencée. Ce sont pour la plupart des objets du mouvement. On trouve dans certaines de mes créations des objets liés à l’univers magique de « mana ». La notion de mana, concept polynésien que l’on retrouve sous différentes appellations dans d’autres peuples, est l’émanation de la puissance spirituelle du groupe, qui contribue à le rassembler. Ces objets sont par exemple des attrapes-rêves que je fabrique moi-même, avec en leurs centres des bouches d’oursins, ce sont des fourmis amazoniennes prises dans l’ambre… On peut rapprocher cela du paganisme et des cultures primaires. Ces sujets sont très ancrés dans ma recherche actuelle.
En ce qui concerne mes techniques, j’utilise de l’acrylique, de la bombe au pochoir, du feutre, du Posca, du crayon, du tissage, de l’assemblage, du collage, du photomontage… J’ai reçu un apprentissage très classique, donc je maîtrise plus ou moins toutes les techniques artistiques, que ce soit le pastel, l’huile, l’aquarelle… J’ai appris à tout utiliser. J’ai beaucoup travaillé avec la matière en photographie, en particulier avec des tissus à motifs. À un moment donné, je me suis détachée de toutes les techniques apprises pour ne travailler que sur la composition. Je réfléchis toujours beaucoup aujourd’hui à quelle technique associer à quel motif, parce que les deux doivent faire sens.
Quelles sont tes inspirations ?
Comme je l’ai expliqué précédemment, je suis très inspirée par l’univers « steampunk », mais aussi par les thématiques rétrofuturistes. J’aime associer des sujets en décalage. On pense souvent à Hugo Pratt en observant mes œuvres. Ce caractère anthropologie prend sa source dans ma formation de bédéiste et de dessinatrice. J’admire de nombreux artistes pour leur graphisme, tel Atlas qui influence mon travail actuel sur le sujet des labyrinthes. J’ai commencé à orienter mes recherches sur le croisement des mythes. J’étudie ce que j’appelle « le rêve de l’humanité », c’est-à-dire le fait que des iconographies similaires ont émergé aux extrémités du monde, issues de peuples qui ne se sont jamais rencontrés. On observe ce phénomène au sein de mythologies très anciennes, sur les thématiques primaires que sont le culte des astres, du végétal, de la nature et des animaux. Pour représenter la lune et le soleil, par exemple, les mêmes motifs traditionnels se retrouvent Amérique du Sud et au nord de l’Afrique.
L’une de mes dernières œuvres représente trois tisseuses, les trois Parques de la mythologie grecque, qui filent le destin des hommes. Ce triptyque fait partie de l’un de mes projets en lien avec les musiciens brésiliens André Luiz de Souza et Celio Mattos, « De terre en couleurs à l’arbre à palabres », dont les racines sont à la fois européennes, africaines et amérindiennes. J’ai souhaité traduire visuellement ce phénomène. Ma première tisseuse est bressane, pour rendre hommage à Bourg-en-Bresse, pour laquelle ce projet a été créé. Mais les couleurs qu’elle arbore sont très intenses et se rapprochent plutôt des couleurs sud-américaines. Sur sa poitrine on retrouve des motifs amérindiens qui contrastent avec le rouet traditionnel européen qu’elle utilise. J’ai représenté la seconde tisseuse comme une sorte de sorcière, dont l’univers se situe entre la Mongolie et le Pérou avec les lignes de Nazca que j’ai utilisées pour représenter son corps. Je l’ai peinte avec des lignes très brutes, en contraste avec certains détails que j’ai travaillés très finement. Ensuite, j’ai posé une cage sur son ventre, avec des filaments qui pendent, des plumes, des rouages et un manomètre, des éléments clairement inspirés de l’univers « steampunk ». Il y a aussi des pièges à rêves que j’ai fabriqués avec des objets de récupération. Un mélange entre l’Ancien et le Nouveau. La troisième fileuse est une petite mamie berbère, représentation de la sagesse orientale…
J’ai exposé récemment ces trois fileuses au Sofffa, une galerie-bar hybride à Lyon. Leur patio bleu a accueilli une série de sérigraphies encadrées tirée de l’un des ouvrages que j’ai édités, des pièces très carrées, très nettes. J’ai installé dans l’espace intermédiaire des pièces bleues et rouges, un code couleur inhérent à mon art et qui représente le dehors et le dedans, le monde et l’âme. Enfin, la salle principale du lieu a été illustrée par les collages que je fais dans la rue. Je travaille toujours mes expositions en fonction du lieu en essayant de distinguer et de qualifier les différents espaces. J’ajouterais enfin que, parmi les artistes qui inspirent mon œuvre, Frida Kahlo à une place importante, autant en tant qu’artiste qu’en tant que personnalité.
Te considères-tu comme une artiste féministe ?
Mes personnages sont féminins, pour la plupart, cela fait partie de mon identité. Je ne sais pas si je me qualifierais d’artiste féministe. Ce mot-là est entendu et compris de façons différentes, en ce moment. Mais je pense que le féminin a un rôle important à jouer aujourd’hui. Parallèlement à mon travail d’artiste, une grosse partie de mon activité consiste dans la diffusion et la transmission. Elle s’incarne dans des projets culturels et sociétaux que j’organise et au travers desquels je tente de comprendre comment les passerelles peuvent se construire, entre les êtres et entre les structures. Il ne s’agit pas de projets féministes, mais simplement de projets à caractère humain, auxquels je pense que le féminin peux apporter beaucoup, dans le domaine du faire ensemble, de la cohésion et de la coordination de compétences. C’est un sujet central de recherche dans tous mes domaines d’activité aujourd’hui.
Tu viens d’intégrer « l’Atelier au 46 » à Lyon…
Oui, j’ai enfin trouvé l’endroit qui me correspond. À la fin de mes études, je m’étais installée dans un atelier qui s’appelait la Mezz, à Pierre-Bénite. C’était un regroupement d’artisans, de plasticiens, de graphistes, d’artistes du spectacle vivant… Cette expérience a beaucoup étayé ma pratique en termes d’apprentissage, parce que je sortais d’études classiques et n’avais aucune expérience dans le fait de développer une activité. Je suis restée sept ans dans cet atelier avant d’intégrer, il y a un an, ce nouveau lieu, avec l’objectif de développer vraiment ma pratique personnelle. Ce nouvel espace de peinture me permet de travailler à plus grande échelle. Il représente aussi une importante rencontre artistique, parce que je me suis rapprochée de personnes qui partagent des enjeux similaires au mien, humainement, artistiquement et sociétalement. Il génère une émulsion remarquable, qui se traduit par les expositions partagées que nous présentons dans l’entrée de notre galerie. Pour l’exposition actuelle, nous avons essayé par exemple de voir comment on pouvait positionner intelligemment dans l’espace du dessin à côté de pièces en métal et de sculptures en plâtre ; comment, par l’intermédiaire de la lumière, nous pourrions faire se superposer sculptures et des œuvres peintes, tout cela avec une narration élaborée en commun. Ma rencontre avec ce lieu a été un heureux hasard de la vie.
Quelle est ta définition de l’art urbain ?
L’art urbain, c’est celui qui se trouve dans ma rue, mis à l’extérieur et libre au regard. J’ai débuté cette pratique à cause de mon rapport d’artiste à la matière, à l’aspérité des murs qui m’intéressaient techniquement comme supports. J’ai réalisé mes premiers collages par envie personnelle, sans réellement les penser comme un biais de communication avec le public. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Mes projets urbains actuels sont des projets du commun, des projets participatifs, faits par le commun et pour le commun. Ils prennent place dans des lieux qui ont du sens pour les gens, qui vont marquer une histoire commune et laisser une trace. Ici se retrouve tout le sens de mon identité d’artiste. L’art urbain est un art de mémoire et je crois que le propos de tous les Street Artistes est celui de laisser leurs traces dans l’urbain. Je partage cette idée et je l’étaye en ajoutant à ma propre trace celle d’autrui. Les personnages de mon triptyque vont s’intégrer au sein d’une grande fresque participative à Bourg-en-Bresse, d’une rencontre, conduite depuis près de deux ans entre des pratiques amateures et professionnelles. L’idée est celle d’un « amalgame », au sens culinaire du mot. Des enfants y ont autant participé que des personnes âgées et nous avons joué les chefs d’orchestre pour que leur création commune soit appréciable et cohérente.
Que penses-tu de l’évolution du Street Art et de la place qu’il prend dans le monde de l’art ?
Je trouve cette évolution très positive, parce qu’elle ouvre de nombreuses possibilités. Cette forme d’art est de mieux en mieux acceptée, les murs tagués ne sont plus systématiquement effacés et c’est une très bonne chose. Cette tolérance à l’expression qui se développe ouvre aussi la porte à des personnes qui n’auraient peut-être jamais osé faire de l’art, parce qu’ils n’ont pas fait d’études ou ont eu peur de se lancer dans une carrière financièrement aléatoire. La démocratisation du Street Art représente la possibilité d’un nouveau champ d’expression. Pour ce qui concerne l’évolution vers le marché de l’art, c’est une chose inévitable, sauf pour ceux qui souhaitent demeurer marginaux envers et contre tout. C’est une conséquence de l’effet de mode dont cette discipline bénéficie depuis quelques années et qui a engendré immanquablement des ambitions de profit. Mais les artistes eux-mêmes ont, pour la plupart, le désir que ce qu’ils créent soit vu, que leurs idées soient diffusées et enfin que leur travail leur permette de vivre. Personnellement, je ne fais pas de l’aspect monétaire une priorité. Ce qui est important pour moi est d’être vue, entendue et partagée, c’est la raison pour laquelle j’évite les carcans. L’essentiel est d’arriver à être juste dans ce que je fais. C’est mon leitmotiv, le « cap » que j’essaie de toujours garder…
Cette idée de partage semble très importante pour toi…
De partage et d’accessibilité, surtout. Certaines personnes n’ont pas envie d’aller dans les musées, pas seulement pour des raisons financières, mais parfois aussi à cause du cadre muséal. Les musées sont souvent « éloignés » des ateliers des artistes et une toile posée sur un mur blanc ça ne dit pas tout. Ici, à l’atelier, nous organisons des événements plutôt intimistes, afin de permettre des visites et des échanges plus qualitatifs. Je pense qu’il est important de poser une intention claire derrière l’organisation d’une exposition, qu’elle soit mercantile ou autre, et qu’il faut maintenir cette ligne de conduite. Pour ce qui me concerne, c’est une espèce d’astrolabe personnel, aligné sur les étoiles : si je dévie de mon intention, je sais que je me suis perdue…
Quels sont tes projets à venir ?
La grande fresque à Bourg-en-Bresse que j’ai évoquée et une autre à Jassans. Les deux inaugurations auront lieu aux mois de juin et juillet. Ces deux projets parallèles sont en lien avec le spectacle vivant, ont demandé entre un et deux ans de préparation, ont impliqué un grand nombre de personnes, tous âges confondus, et sont liés à la thématique des mythes de l’Amazonie. Ils ont été créés en parallèle avec douze contes musicaux qui donneront lieu à la publication d’un CD. Et ils donneront aussi lieu à la publication d’un carnet de voyage, car ces mythologies amazoniennes sont le point de départ d’un voyage que je vais effectuer en novembre prochain en Amérique du Sud. Un périple de quatre mois au Pérou, au Mexique et peut-être aussi à Cuba, avec un objectif de résidences artistiques pour étayer mes recherches sur place et investiguer plus avant ces mythes dont je m’inspire depuis plusieurs années dans mon travail. Le carnet de voyage que je vais rédiger sera construit comme un cahier de ressources et d’iconographie du croisement de toutes ces légendes ethniques. Je vais rencontrer, au Mexique, des sculpteurs d’Alebrijes (voir article « Cités d’or… »). Je vais rejoindre, au Pérou, l’artiste Sponer, qui travaille depuis un an auprès de communautés amérindiennes pour œuvrer à la survie de leurs cultures, de leur savoir-faire et de leur savoir-être…
Dans le domaine de l’édition, je collabore avec un fanzine engagé, « le Foutou’art », qui traite des luttes de manière générale et en ce moment j’illustre pour eux des textes à propos des combats pour leurs droits des autochtones d’Amérique du Nord. Il y a beaucoup à apprendre de ses communautés, en termes de résistance pacifiste, de résistance festive, construite et basée sur la culture et sur le faire-valoir cette culture.
Si j’étais le génie de la lampe d’Aladin et que tu pouvais exhausser trois vœux, lesquels seraient-ils ?
Si je devais peindre un lieu, je choisirais un bateau-atelier itinérant. Un voilier. Les appels à résidences sur ce type de bateau me font particulièrement rêver, en particulier lorsqu’il s’agit d’accompagner des équipes scientifiques pour travailler avec elles sur des sujets de recherche. Je rêve aussi de partir un jour sur l’Hermione. J’ai d’ailleurs appelé la structure associative que j’ai créée pour porter mes projets « O pavillons ». Mon second vœu serait celui d’avoir toujours les moyens de continuer à créer, c’est-à-dire avoir les moyens de porter ses rêves très loin et de ne pas avoir de limites à la création. Enfin, mon dernier souhait serait celui d’être toujours étonnée et d’être toujours « en surprise »…
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