Par Michel Fily, 30 avril 2019

Dans la mythologie inca, Inti est la manifestation du soleil. C’est une force divine reconnue par tous les peuples des Andes. Selon cette mythologie, il est le fils de Viracocha, dieu de la civilisation inca. Il est représenté par un disque solaire à face humaine. Contrairement à ce qui a été parfois écrit, INTI n’est pas le pseudonyme de l’immense muraliste qui réalise en ce moment l’une des plus grandes fresques du festival Peinture Fraiche, à Lyon. C’est le prénom choisi pour lui par un père à l’instinct prémonitoire. Rencontre avec un artiste solaire.

Bonjour INTI, peux-tu te présenter aux lecteurs ?
C’est difficile. Cela équivaut à me mettre dans un cadre et je n’aime pas ça. Je préfère que les gens définissent par eux-mêmes mon travail et ma personne. Je suis né au Chili. Je vis un peu partout, mais mon studio et ma maison sont à Barcelone aujourd’hui. C’est une ville très intéressante, où vivent de nombreux artistes. J’ai choisi l’Espagne parce que j’ai cherché un lieu de vie qui soit moins cher que Paris, avec une bonne ambiance entre les gens et près de la mer. Une ville avec un climat ensoleillé et un aéroport international pour que je puisse avoir une connexion avec le monde entier. Et il fallait aussi une langue latine, facile à apprendre, comme l’Espagnol. Mais j’aurai pu choisir l’Italie…

Depuis combien de temps es-tu muraliste ?
Ça aussi, c’est un cadre. Je ne sais si je suis muraliste ou pas. Je fais juste mon travail, je fais ce qui me plait. J’avais 13, 14 ans la première fois que j’ai pris une bombe et commencé à faire des choses dans la rue. Si c’est de l’art, du graffiti, du muralisme, je m’en fous. C’est tout le temps en train de changer, donc me mettre dans une boite ne m’aiderait pas à continuer et à explorer différentes choses.

Quels sont tes techniques et supports créatifs?
Je fais de la toile et j’expose parfois des tableaux. Je ne suis pas à fond dans les galeries, mais il faut le faire pour vivre de son art. J’ai fait des essaies avec des installations et des sculptures, comme à Paris, il n’y a pas très longtemps. Pour la technique, je n’utilise pas de bombes! Je peins au pinceau, aux rouleaux, avec mes doigts, avec des t-shirts sales, avec mes cheveux… Toujours avec de l’eau. J’utilise de l’acrylique à l’eau. D’abord, parce que les bombes contaminent l’environnement. Ensuite, parce qu’elles sont difficiles à trouver dans certains pays et ça peut bloquer le travail, alors qu’on trouve de la peinture n’ importe où. En plus, ça donne la possibilité de jouer plus avec les textures et de créer beaucoup plus de couleurs qu’avec le spray. Il y a environ 200 couleurs existantes de bombes, alors que l’œil humain est capable de voir 3 millions de couleurs ! Cela fait une vraie différence, surtout par rapport à la taille des murs que je peins. Ça n’aurait aucun sens d’utiliser des sprays sur 30 mètres de haut.

Quelles sont tes influences, artistiques ou autres ?
Je ne citerais pas d’artistes, mais plutôt des œuvres que je trouve incroyables. Je pense par exemple au travail de Conor Harrington, à Miami. Je pense à Aryz, qui est toujours en train de chercher de nouvelles esthétiques. Au mur de GLEO qu’elle a fait aux USA pendant trois mois. Des choses que je vois aujourd’hui et qui m’inspirent. Je pense que ces artistes sont à la pointe du mouvement. Un mouvement dans lequel il y a toujours des gens qui sont en train de faire de nouvelles choses. Comme les travaux d’Axel Void. Ce sont des artistes qui vont au-delà des frontières de ce qui a déjà été fait. En dehors des influences purement artistiques, les cultures originelles du monde m’ont permis d’ouvrir les yeux. Il ne s’agit pas d’art muséal, mais du travail manuel des gens, de leur artisanat local et des histoires qu’il raconte. Parfois, dans une chose simple comme un morceau de tissu, il y a, gravé, toute l’histoire d’un peuple. Cela a beaucoup de sens pour moi. Lorsque je voyage, j’essaie de comprendre les cultures des pays que je visite.

Tes origines et ta culture chilienne t’accompagnent-elles dans ce que tu fais aujourd’hui ?
Depuis que j’ai quitté l’Amérique latine, je me ressens plus comme un latino Américain que comme un Chilien. Lorsque tu commences à comprendre ce qu’est vraiment ton identité, tu ne peux pas la réduire aux frontières politiques d’un seul pays. Il y a d’autres types de frontières, par exemple le continent duquel je viens… Je me sens aujourd’hui plus proche des Mexicains que de personnes originaires du Chili. Lorsque je voyage en Europe, en Asie ou n’importe ou dans le monde, je ressens une profonde différence culturelle. Je me vois à travers les autres et je sais que je suis latino-américain.

Ce latino-américanisme influence-t-il ton art ?
Beaucoup, même si je ne le voulais pas. D’abord, dans les couleurs et dans la façon de dépeindre ce qui est sacré. Nous partageons tous la même histoire, depuis le Mexique jusqu’au Chili. Les mêmes périodes de dictatures, les mêmes civilisations, le même héritage des cultures antiques précolombiennes et le même mixage avec les cultures occidentales. Ce partage fait partie de moi et il traverse mon travail. C’est la même chose pour la religion. Je ne suis pourtant pas religieux du tout, je me considère comme antireligieux. Quant à la foi, je dirais que je suis plus proche de la spiritualité que de la croyance. Je pense que notre cerveau est capable de faire beaucoup de choses si l’on y croit. Cela ne veut pas dire que c’est de la magie. C’est juste les habilités du cerveau qui sont incroyables.

Tes personnages ressemblent pourtant à des icônes…
Ce sont des icônes. Elles portent en elles quelque chose de l’ordre du sacré. Mais le sacré dont je me préoccupe n’est pas de savoir si Dieu existe ou pas, s’il existe une force qui peut casser les lois de la physique. La science propose des réponses vraiment très intéressantes. Plus intéressantes pour moi que celles que proposent les religions. Et cela me permet d’avoir une vie spirituelle, même sans religion. On s’est habitué à l’idée que la spiritualité appartient à la religion, mais ce n’est pas vrai du tout. On peut être spirituellement connecté, avec le monde, avec la nature, sans la nécessité d’avoir une institution derrière cette connexion.

Il y a une constance de couleurs dans ton travail, le violet, le jaune orangé, une couleur très solaire…
En Amérique latine, on ne craint pas d’utiliser les couleurs. On n’a pas peur de mélanger un jaune pistache avec un rouge vif. Ça fait partie de notre culture. Comme dans les carnavals. On est habitué à la présence des couleurs dans notre vie. Pour les artistes latino-américains, le challenge serait plutôt d’accepter d’utiliser des couleurs nuancées. On était justement en train d’en parler avec GLEO (autre artiste invitée du festival Peinture Fraiche), qui est colombienne. Elle aussi a commencé sa carrière avec des couleurs très vives et on se disait que c’est un vrai défi d’accepter de peindre avec des couleurs plus pastel. Cela a un rapport fort avec notre culture, avec le climat là-bas. C’est en nous, ce n’est pas exagéré ni fait exprès pour représenter l’Amérique latine. En ce qui concerne mes couleurs, je fais moi-même mes mélanges, donc le jaune orangé, le violet sont toujours différents. Ce jaune signifie la présence, le contraste avec le monde. Et le violet, c’est le sacré désacralisé.
Tes personnages ont souvent les yeux fermés ou cachés…
Le personnage que je peins ici, à Peinture Fraiche, a des fleurs sur les yeux. C’est peut-être que les personnages qui ne regardent pas paraissent être dans la réflexion.

Ils sont souvent debout, comme des icônes…
Ça, c’est fait exprès. Je recherche souvent le côté frontal. Pas toujours. Parfois, je fais des personnages plus en rapport avec le carnaval et le côté festif, mêlé lui aussi avec le sacré. En Amérique latine, on ne sépare jamais la fête du sacré. Mes autres personnages, comme celui que je peins aujourd’hui, sont frontaux, c’est en rapport avec l’identité. Quand quelqu’un se fait arrêter, la police lui demande de se tenir droit, de front, quand ils le prennent en photo. Cela donne plus de force et plus d’impact sur le regard des gens.

Que souhaites-tu transmettre aux gens qui regardent ton travail ?
Je n’ai pas d’exigence, ni d’idée préconçue. J’aime la science. Je préfère donc les questions aux réponses. Lorsque quelqu’un m’aborde avec des réponses toutes prêtes, je le fuis ou je me moque de lui. Avec mon travail, j’essaie tout le temps de poser des questions. J’y inscris ensuite des éléments en rapport avec mon histoire par rapport au lieu et par rapport à ce qui se passe pendant que je peins. Je démarre toujours avec une composition et à la fin je rajoute des éléments. C’est un jeu qui fait sens pour moi. Mais j’aime que les personnes aient leur propre interprétation de mon travail.

Est-ce que tu as une anecdote de rencontre avec ton public qui t’a marquée ?
Tout le temps. Les gens me demandent « qu’est-ce que ça veut dire ? ». Je leur réponds « qu’est ce que vous vous voyez ? ». Écouter les réponses, c’est ce qu’il y a de plus intéressant. Les gens sont vraiment créatifs. Ils ont parfois des idées meilleures que les nôtres ! (Rires) À Paris, j’étais en train de faire une sorte de Madone qui jouait avec une pomme. Un passant m’a dit « ah, c’est Newton ». J’ai trouvé cette idée incroyable. Alors j’ai commencé ajouter plein de petits éléments liés à la science et j’ai finalement écrit la lettre G (initiale du mot « gravité ») sur la pomme, pour faire référence à la pomme de Newton et à l’histoire de la science.

Que penses-tu de l’évolution du Street Art ?
Le Street Art d’aujourd’hui s’est prostitué! On a effacé les frontières entre l’art et le commercial. Et c’est devenu normal. Avant, lorsqu’un artiste acceptait qu’on utilise son travail pour des marques ou de la publicité, il était critiqué. Aujourd’hui c’est devenu normal. C’est plutôt « ah oui, tu as fait un travail avec Adidas, c’est cool ! ». Le Street Art était à l’origine un mouvement de résistance, qui allait à l’encontre de la commercialisation de l’espace public. Nous voulions ouvrir cet espace pour y faire quelque chose de différent. On a complètement perdu cette idée et je vois que les nouvelles générations s’en fichent.

Je comprends ce que tu dis, mais il y a également des jeunes qu’ils veulent vivre de leur art et les galeries ne s’ouvrent pas facilement à tous…
Si un jeune artiste émergent a besoin de faire un peu de business pour vivre, je suis complètement d’accord. J’ai des amis qui le font et je l’ai fait moi-même. Mais il y a des artistes qui n’ont pas besoin d’argent, qui sont déjà connus, mais qui choisissent de travailler pour ceux qui payent plus en faisant exactement ce qu’on leur demande. Même si c’est aussi kitch qu’un dauphin en train de sauter dans les vagues avec un coucher du soleil derrière lui. Ils n’ont aucune intention de faire de l’art pour être utiles. Le Street Art est un outil puissant et on est en train de louper ça complètement quand on prend des murs pour faire de la décoration.

Tu penses que cela peut détruire le processus ?
Non, ça ne va pas suffire pour le détruire. Parce que dans la nouvelle génération, il n’y a pas que des artistes sans scrupules. C’est juste que ça fait peur, parce que c’est devenu normal. Heureusement, il y a beaucoup de nouveaux artistes qui sont vraiment engagés socialement et qui veulent changer les choses. GLEO, qui a 8 ans de moins que moi, est vraiment connectée avec ces sujets, c’est quelqu’un qui pense ce qu’elle fait et ça fait plaisir à voir. Le mouvement du Street Art ne disparaitra pas, mais je pense qu’il va se séparer en plusieurs mouvements. Cela se produit déjà. Je ne sais pas combien de chemins il y aura, mais il faudra trouver de nouveaux mots pour les définir. Le mot Street Art veut déjà dire plusieurs choses différentes aujourd’hui.

Est-ce que tu considères ton art comme politique ?
Tout est politique. Bien sûr, j’essaie de faire un art politique. Mais je ne traite pas le sujet directement. Je préfère être un peu plus subtil. Je ne choisis pas par exemple de traiter de sujets dont tout le monde parle à la télévision, juste parce que ça me donnerait plus de « Likes » sur les réseaux sociaux. Je suis peut-être en train de faire quelque chose qui ne va pas changer la réalité d’aujourd’hui, mais peut-être que mon art apportera quelque chose aux générations futures. Il y a des gens en Amérique latine qui parlent de mon travail comme d’une espèce d’ambassadeur de notre culture. Ça ne me plait pas trop. Même si je travaille beaucoup le sujet des Indiens et du mélange des cultures. Mais je ne veux pas rentrer dans un schéma spécifique qui m’empêcherait de trouver d’autres sujets. Je joue avec le syncrétisme culturel. L’Amérique latine est un mélange de cultures qui n’ont rien à voir les unes avec les autres et qui créent un résultat vraiment surréaliste. C’est cet esprit qui m’inspire dans mon travail. Je joue avec tous ces petits morceaux de cultures pour faire un grand patchwork surréaliste, de choses qui ne vont pas vraiment ensemble, mais que je réussis à mélanger.

Qu’est ce que tu penses de ton succès et où en es-tu de tes rêves ?
J’aimerais bien avoir plus de liberté pour faire mon travail. C’est le rêve de tous les artistes. C’est un peu un cliché, mais je voudrais gagner plus de respect, je voudrais que les gens aiment ce que je fais, pour avoir plus d’espace, pour dire plus de choses. Et ne pas être contraint par le travail dans la galerie. J’aimerais bien ne faire des toiles que si ça me plait et pas parce que j’en ai besoin. Il y a des gens cool qui achètent des toiles et qui investissent dans l’art et ça te permet d’aller dans la rue et de ne pas penser a l’argent, mais j’aimerais me sentir libre de ça et juste faire des voyages et prendre le temps de rencontrer et d’apprendre à connaitre les gens dans les lieux où je veux peindre. Et réaliser vraiment quelque chose qui fait sens.

Y a-t-il encore un pays où tu n’es pas allé peindre ?
De nombreux pays. L’Afrique subsaharienne par exemple, ou l’Indonésie, sont des lieux où je voudrais aller peindre. Il y a beaucoup à découvrir là-bas.

Si j’étais le génie de la lampe d’Aladin et que tu pouvais choisir un lieu fou ou peindre, lequel choisirais-tu ?
Notre Dame. Elle a brulé et tout le monde s’est senti mal, parce que ça fait partie de la culture occidentale. Notre Dame appartient à tout le monde en France. C’est pour cela que je voudrais y peindre. Pour resignifier son caractère religieux en le transformant en religion non religieuse. En une spiritualité ouverte, qui appartienne à tous.

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https://www.instagram.com/inti_cl/?hl=fr
Festival Peinture Fraiche, 10 jours, 70 artistes, 12 pays. Du 3 au 12 mai 2019, à la Halle Debourg, 45-47 Avenue Debourg, 69007 Lyon (Métro,Tramway, arrêt Debourg).
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