
Par Michel Fily, 21 février 2020
A la suite du succès rencontré lors de la première édition, qui a accueilli 37 600 festivaliers en 10 jours, le festival international de Street Art Peinture Fraîche devait revenir à Lyon du 1er au 7 mai 2020 avec une seconde édition placée sous le signe de l’innovation. Après la période difficile que nous venons de traverser, la seconde édition a été reportée, mais aura bien lieu du 2 au 25 octobre prochains. Son Directeur artistique, Cart 1, dont nous republions ci-dessous l’interview, a insisté lors de la présentation de cette nouvelle saison, sur sa volonté de « ne pas faire de redite de l’édition 2019 » – en renouvelant non seulement la sélection des artistes, amis aussi l’espace et la scénographie du lieu – et de « sortir du cliché du graffeur et sa bombe », avec un parti-pris fort en faveur des nouvelles technologies. « On a invité des Motion Designers à travailler sur tout l’espace de la Halle Debourg et 80% du lieu sera visitable en réalité augmentée ». Le festival proposera aussi des ateliers écologiques de Street Art végétal, de Light Spray et d’initiation à la création en réalité augmentée, un Contest de Graffiti sur tablettes, plusieurs conférence, entre autres sur l’écologie et les technologies, enfin sept soirées avec tous les genres de musiques représentés. Les tarifs restent très abordables pour cette seconde édition (5 euros en individuel), il y aura des pass et – nouveauté – un coupe-file avec la possibilité d’acheter ses billets à l’avance sur Internet. Surveillez la page Facebook du festival pour plus d’informations !
Il est l’un des plus anciens représentants de l’art urbain à Lyon et en France. Graffeur depuis bientôt 30 ans, Cart1 (prononcer « cart ouane ») est le nouveau directeur artistique du festival Peinture Fraiche, dont la première édition s’ouvrira au public le 3 mai prochain. Urban Street Art Urbain l’a rencontré, pour évoquer son parcours d’artiste, son nouveau rôle de direction artistique et la vision qui a composé son festival.
Bonjour Cart1, tu es Street Artiste depuis de nombreuses années et tu as réalisé de nombreux murs un peu partout dans le monde. Qu’est-ce qui t’a amené à devenir directeur artistique de projets comme celui-ci ?
C’est un peu comme pour l’acquisition d’un style artistique. Je dis souvent ce ne sont pas les graffeurs qui trouvent leurs styles, mais plutôt que ce sont leurs styles qui les trouvent. Je suis devenu directeur artistique de cette façon, un peu par la force des choses…
Ça fait trente ans que tu fais des murs. Il n’y a pas beaucoup de Street Artistes qui peuvent dire cela !
C’est vrai. Cette année, je fête ma trentième année de spray à la main. Au départ, c’était juste une activité de jeune de banlieue qui s’ennuyait et qui allait peindre sur les murs parce qu’il aimait dessiner. Puis, sans y penser, c’est devenu un métier. Ce n’était pas du tout prémédité et si on me l’avait annoncé à l’époque, j’aurais rigolé.
« J’ai beaucoup décoré de chiottes, comme tout le monde au départ. On à tous démarré dans les chiottes »
Tu es un enfant des quartiers ?
Je suis un immigré auvergnat, je suis né à Aurillac. Ma famille a immigré dans la grande ville, comme beaucoup d’autres, pour pouvoir trouver du travail. J’avais six mois quand je suis arrivé à Lyon. J’ai grandi dans le quartier Moulin à Vent, dans le huitième arrondissement. Je fais partie de la deuxième génération de graffeurs lyonnais. Ceux qui m’ont donné l’envie de graffer sont le collectif TWA à Lyon, avec DON, que j’ai d’ailleurs invité ici, à Peinture Fraiche. Ils graffaient dans mon quartier à l’époque et il y avait un nouveau style musical qui émergeait, qui s’appelait le hip-hop. On est tous tombés dedans… Encore une fois, rien n’a été prémédité, c’est devenu un métier de fil en aiguille. J’ai beaucoup décoré de chiottes, comme tout le monde au départ. On a tous démarré dans les chiottes… Jusqu’au jour où on m’a commandé mes premières décos. Ça s’est fait crescendo. En 1996, j’ai rencontré un mec qui travaillait pour la marque Rossignol. Ils étaient en train de lancer leurs premiers snowboards et ils avaient besoin d’un « coup de jeune », parce que Rossignol était un peu « la marque des skis à papa ». Ils ont fait appel à un DJ électro, à un DJ hip-hop et à moi comme graffeur. On a fait pas mal de tournées dans les stations de ski. Au bout d’un moment, ils ont voulu un peu plus d’animation, j’ai commencé à booker mes potes et on a travaillé pour eux pendant six ans. Voilà comment je suis devenu, sans le vouloir, bookeur de Street Artistes lyonnais, nationaux et internationaux. Ensuite, j’ai aidé à monter plusieurs projets de Street Art. Et puis j’ai fait un voyage en Slovaquie où j’ai rencontré le créateur du Street Art Communication Festival, à Košice. Il avait besoin d’un professionnel auprès du Ministère de la Culture slovaque et il m’a demandé d’être garant de son festival. J’ai rédigé un courrier en anglais au ministère pour me porter garant en tant que professionnel et je suis devenu co-directeur artistique du projet. Puis j’ai monté d’autres évènements plus modestes, jusqu’à mon propre projet, en 2008. C’était au Honduras.
Et ton premier évènement solo sur Lyon c’était quand ?
C’était le Wall Drawings Festival, en 2016, en résonnance avec le Musée d’Art Contemporain. Ensuite, il y a eu le Trublyon Festival, en 2017. Et d’autres, jusqu’à aujourd’hui, avec la première édition de Peinture Fraiche, en coproduction avec le groupe Unagi – Le Petit Bulletin.
Qu’est ce que ce nouveau métier t’a fait découvrir, en toi, de différent de l’artiste ?
En fait, comme beaucoup d’autres, avant, je râlais devant certains évènements en disant « ce n’est pas complément ce que j’aimerais voir ». Au bout d’un moment, je me suis dit qu’au lieu de râler et d’attendre que les choses se fassent, que d’autres fassent ce que j’aimerais voir dans un festival, je n’avais qu’à le faire par moi-même. Donner ma propre vision. Cette sélection qui est la mienne n’est surement pas exhaustive et est totalement subjective. C’est une vision à laquelle on peut adhérer ou non, mais c’est cela, une direction artistique. Ça porte bien son nom. C’est aller dans une direction alors qu’on pourrait partir dans une autre.
Lyon est-elle une ville facile pour un tel évènement ?
Les deux, mon capitaine ! J’ai toujours entendu dire que les Lyonnais sont compliqués, mais je me rends compte que c’est faux. Les gens sont beaucoup plus ouverts que ce que leur réputation raconte. Je me suis un peu intéressé à l’histoire de cette ville et j’ai constaté que Lyon a toujours été ouverte aux idées nouvelles, contrairement au côté réfractaire qui lui a longtemps collé à la peau. À chaque nouvel évènement, nous avons testé l’engouement du public. En 2016, pour le premier évènement, nous avons eu 3500 personnes en une seule journée, et ce malgré un orage à 17 heures. Le deuxième festival, qui a duré deux jours, a accueilli 7600 personnes. Ce qui nous a permis d’envisager quelque chose de plus grande envergure. D’un autre côté, en France et pas seulement à Lyon, on est souvent parmi les derniers dans toute l’Europe à adopter les nouvelles lois, pour l’euthanasie, la PMA… C’est pour cela que je suis allé voir ailleurs à une certaine époque. Je suis parti vivre à Londres à la fin des années 1990, puis une année à Paris, puis au Honduras, en Ukraine et dernièrement en Colombie. Mais j’aime ma ville et c’est pour cette raison que je suis revenu créer ce projet ici.
« On a commencé à être pris au sérieux grâce à Banksy en 2001 quand il a vendu son premier pochoir à 90 000 livres »
Qu’est-ce qui a changé par rapport aux années 90 ? Comment vois-tu l’évolution du Street Art aujourd’hui ?
Quand j’ai commencé à faire du lettrage, en 1989, on nous regardait de travers. On nous traitait de « Zoulous en carton ». Les gens disaient « de toute façon, votre truc c’est une mode, ça ne tiendra pas deux ans ». On avait des bombes de mauvaise qualité, celui qui arrivait à faire un trait sans coulure était un « King ». C’était compliqué de faire des choses intéressantes. En comparaison, les graffeurs d’aujourd’hui ont des Rolls Royce. À l’époque, on graffait pour se faire connaitre et pour reconnaitre les autres, pour développer son style et surtout pour maitriser l’outil. Personnellement, je n’ai jamais été très doué pour le lettrage. J’oubliais même souvent de signer mes murs. C’est comme cela que j’ai commencé à dessiner des personnages. La culture du graff a évolué un peu comme la musique hip-hop, qui avec certains artistes s’est transformée en Rap et avec d’autres en Rnb, en se séparant en plusieurs ramifications. Alors que 99.9% des artistes détestent ce terme, j’aime le mot « Street Art »,. D’abord, parce qu’il permet de définir une création qu’on n’arrive pas à définir, en dehors de son dénominateur commun, qui est le fait de créer dans la rue. Cette création, elle est multiple et protéiforme, mais c’est une même famille. Si on me demandait de condamner le graffiti, je refuserais. Ce n’est pas ma pratique, mais c’est la même famille. Pour revenir sur l’évolution de ce mouvement, quand on a commencé, ce qu’on voulait c’était une autre culture, créée par nous-mêmes. Une culture hyper-urbaine derrière laquelle on se retrouvait tous, malgré nos différences d’origines et sociales. Aujourd’hui, alors que cette culture commence enfin à être reconnue, je ne comprends pas que certains artistes jouent les « pucelles effarouchées », en se prétendant « récupérés ». Je n’accepte pas ce genre de discours. Ce que j’aime dans le mot « Street Art », c’est la philosophie qu’il y a derrière ce duo. Si on enlève l’un des deux mots, ce n’est plus la même chose. On a commencé à être pris au sérieux grâce à Banksy en 2001 quand il a vendu son premier pochoir à 90 000 livres. Et là les galeristes et les critiques se sont dit « ce ne sont peut-être pas des Zoulous en carton ».
Comment expliques-tu que certains Street Artistes craignent d’être « récupérés » ?
Cela traduit sûrement une peur, mais, les gars, on n’est pas obligés de crever la dalle pour créer ! C’est curieux, parce que ce phénomène n’existe que dans les arts plastiques. Essayez de dire à un groupe de rock : « je vous ne paie pas pour un concert ». Pourquoi serait-ce différent pour un Street Artiste ? C’est aussi un phénomène très français. À l’étranger, les artistes sont très pauvres, ça ne les fera pas fuir si on leur propose de l’argent. J’ai des amis à Bogota qui font du business, ça ne les empêche pas de continuer à créer. Je pense que cette peur vient de l’idée que si quelqu’un les paie, c’est pour qu’ils « arrêtent leurs conneries ». En réalité, c’est le problème de l’artiste face à lui-même. Il n’est pas nécessaire de projeter sur les autres ses propres peurs. Il faut juste être capable, parfois, de dire « non ». Moi, ça m’est arrivé. Une milliardaire russe qui voulait que je lui décore son hélicoptère m’a un peu pris pour son laquais, lors d’un échange de mails. Alors, je lui ai dit d’aller voir ailleurs. Elle m’a répondu qu’on ne lui avait jamais parlé comme ça et je suis ai dit que, peut être, on aurait dû, que je n’avais pas d’argent, mais que j’avais une dignité et que, par conséquent, on ne travaillerait jamais ensemble…
Tu es à quelques jours de l’ouverture du festival Peinture Fraiche. Comment te sens-tu?
Ça fait deux ans qu’on prépare ce projet. Il y a eu beaucoup de travail, mais aujourd’hui, c’est un peu comme une colonie de vacances. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles on crée ce genre de festival. Ce sont, pour la plupart, des amis, avec qui j’ai déjà peint des murs ailleurs dans le monde, que j’ai déjà invités pour des évènements antérieurs et avec qui les choses se passent toujours bien. Ils ont tous accepté de s’investir pour cette première édition : Bordalo II, que j’avais déjà booké pour un festival en Thaïlande, Lor K que je ne connaissais pas, mais que je suis, de loin, depuis des années, Satr… Ce sont les artistes que j’avais envie de voir peindre. Ils ne sont et ne seront pas ici tous en même temps, pour des questions de logistique surtout, parce qu’on veut pouvoir les accueillir correctement. Et aussi parce que notre matériel d’élévation est limité, donc il a fallu jongler, en termes de planning. Aujourd’hui, à quelques jours de l’inauguration, les choses sont plutôt cool. Même si je dis toujours qu’un évènement sans ennuis, c’est suspect (rires). On a eu quelques petits soucis, comme pendant l’alerte orange au vent, où l’une des portes de la halle a été soufflée. Mais finalement, elle a été réparée…
Il va y avoir un lieu d’exposition pour les tableaux des artistes ?
Oui, on va poser des supports d’exposition le long du quai pour accrocher des œuvres et pour les vendre.
Y aura-t-il des travaux de toi parmi elles ?
Non, ce n’est pas prévu. « Celui qui est dans sa maison et qui reçoit des invités est le dernier assis a table ». L’essentiel est que les invités soient bien reçus…
« Présenter au public un instantané de ce qu’est la création actuelle »
Le fait d’être directeur artistique entrave-t-il ta carrière d’artiste ?
Ça la ralentit, effectivement, parce que j’ai moins de temps pour produire. Mais, quelque part, un événement, c’est aussi une œuvre. Je veux dire que c’est la concrétisation d’une vision. Je n’ai pas seulement invité des amis, j’ai invité des artistes très talentueux dont j’ai la chance qu’ils soient des amis. J’ai invité des graffeurs comme Der, de la mythique « Truskool » toulousaine, devant qui j’étais en totale admiration quand j’ai débuté. Devant qui je suis toujours en admiration, d’ailleurs. Si je devais définir cette direction artistique, je dirais que c’est « mon festival idéal ». Et sa ligne artistique précise est de présenter au public un instantané de ce qu’est la création actuelle. C’est montrer qu’aujourd’hui quand tu parles de Street Art, c’est bien plus que du lettrage, qu’on ne parle pas que de graffiti. Il y a des artistes qui font du collage, il y en a qui utilisent la technologie, d’autres la réalité virtuelle … L’idée est de rassembler toutes ces ramifications et de se dire « à l’instant T, voilà ce qui se passe », même si on ne peut jamais être totalement exhaustif.
Il y aura du vidéo art ?
Bien sûr, il y aura Inert qui va présenter du vidéo-mapping, il y aura les Franc Colleurs qui vont faire de la réalité augmentée.
Y aura-t-il une suite à Peinture Fraiche ?
On travaille d’ores et déjà sur la 2e édition, qui aura lieu l’année prochaine, à la même époque. L’idée est de créer un rendez-vous régulier avec le public. Pour l’instant, c’est en bonne voie, on réajustera après cette première expérience, s’il le faut. Je ne camperai pas sur mes positions si elles sont mauvaises. Le plus important, c’est de comprendre que quand les gens reviennent sur un évènement, ils ont envie de retrouver un même état d’esprit. Et il faudra aussi les surprendre en proposant, chaque année, de nouvelles idées.
Est-ce que tu as des projets personnels en préparation ?
Je prépare une exposition anniversaire de mes 30 ans de graff, un projet sur lequel je travaille depuis 6 ans. Je vais présenter cette exposition à la Demeure du Chaos, avec laquelle je collabore depuis 15 ans. C’est prévu pour septembre 2019.
« Le plus important, c’est de comprendre que quand les gens reviennent sur un évènement, ils ont envie de retrouver un même état d’esprit»
Y a-t-il une question que je ne t’ai pas posée et à laquelle tu aimerais répondre ?
Ce que j’aimerais dire, c’est que quand j’ai débuté dans ce mouvement artistique, c’était la Zulu Nation. On ne savait pas où on allait, tout était permis. Aujourd’hui, je vois que ce mouvement est à l’image de l’époque, c’est-à-dire avec des tendances extrémistes. Il y a des gens qui viennent dire « ça, c’est du Street Art ; ça, ce n’est pas du Street Art ». Je ne supporte pas les gens qui disent « ça, ce n’est pas possible » ou « vous n’avez pas le droit de faire ça ».
C’est important de conserver cette liberté ?
Oui, la création doit être totalement libre et sans limites. Les extrémistes, je m’en éloigne le plus possible. J’aime les gens qui ouvrent des portes, pas ceux qui les ferment.
Parce que le Street Art, c’est l’avenir de l’art contemporain…
J’en suis sur. Quand j’ai débuté, on était en pleine période postmoderniste. On disait que la peinture, c’était fini. Eh bien le Street Art, c’est le grand retour de la peinture ! C’est un sacré pied de nez à l’histoire de l’art.
Si tu pouvais réaliser un rêve fou d’artiste, lequel serait-ce ?
Je n’en ai qu’un et c’est celui de finir ma vie en peignant, avec des tongs. Donc, dans un pays chaud. J’ai des rêves simples…
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Festival Peinture Fraiche, 10 jours, 60 artistes. Du 1er au 17 mai 2019, à la Halle Debourg, 45-47 Avenue Debourg, 69007 Lyon (Métro, Tramway, arrêt Debourg).
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